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Quel enjeu politique entre le Rwanda et la Rd Congo si Makenga venait de disparaitre ...

Makenga, Mort ou Vivant ? Là n’est pas l’enjeu

Jean-Jacques Wondo

Depuis quelques jours, à la suite de la diffusion d’une information par la Télé 50, un organe de média congolais alimentaire et propagandiste affidé au régime de Kinshasa, les fora congolais sont envahis par des débats stériles autour de la mort de Sultani Makenga, dont le convoi serait victime d’une embuscade tenue par les Maï-Maï. Certains vont même crier la victoire en l’attribuant aux qualités stratégiques exceptionnelles du commandant suprême des armées, Joseph Kabila.

De l’autre côté, les différents sites internet tenus par les partisans du M23, un groupe négatif créé de toutes pièces par Kagame et ses généraux, ne cessent de diffuser des informations rassurant sur l’état de santé de leur chef Sultani Makenga, sans réellement apporter des preuves irréfutables. Le dernier alibi des propagandistes du M23 semble être justification l’agence de presse allemande Reuters. En effet, dans un tweet envoyé le 20 juin 2013, le journaliste Jonny Hogg déclare avoir eu un entretien téléphonique avec l’intéressé comme le montre ce tweet:

Jonny Hogg @jonnyhogg1

Spoken to #Makenga. Despite persistent rumours he doesn’t seem to be badly injured after an attack, or in a hospital in Kampala #m23#drc

3:23 PM – 20 Juin 2013

Rien nous dit dans quelles conditions cet entretien a eu lieu et surtout sur base de quels éléments objectifs le journaliste aurait formellement reconnu et identifié la voix de l’intéressé. Le suspense reste complet dans cette nouvelle manœuvre de diversion à laquelle sont friands bon nombre de congolais adeptes du sensationnalisme émotionnel dénudé de tout rationalisme prospectif.

Cette diversion provocatrice de mauvais goût amène d’ailleurs les partisans du M23 à considérer leur chef comme étant le futur chef d’état-major général des FARDC sur base de futurs (éventuels) accords que les parties en négociation vont signer à Kampala. Ainsi, peut-on lire dans un des foras de discussion des membres du M23 : « Le Général Makenga rappelle à ses actuels soldats (ceux du M23) et ses futures soldats (ceux des FARDC) que s’il est dans les montagnes aujourd’hui c’est parce qu’il avait demandé a Joseph Kabila de révolutionner les conditions misérables des soldats Congolais, en particulier, et du Congolais tout court, en général… Le Général de Brigade Emmanuel Sutani MAKENGA profite de cette occasion pour dire aux soldats des FARDC qui sont en face de ceux du M23 au niveau de toutes les positions, qu’ils sachent que leur prochain chef d’Etat- Major Général (selon les prévisions du prochain Accord de Kampala) est bel et bien vivant et même plus vivant que jamais. »

Mais pour des analystes qualifiés, là n’est pas le vrai problème, car mort ou vivant, le système de prédation et d’invasion du Congo mis en place par le Rwanda et alliés n’est pas un dispositif qui fonctionne sur des personnalités mais bien sur le modèle du fonctionnalisme criminel à l’instar du fonctionnalisme des réseaux criminels de terrorisme, de trafic des stupéfiants ou encore de crime organisé. En effet, dans le domaine criminologique, ce qui importe dans l’étude des réseaux criminels similaires, ce n’est pas la personne (de Makenga ou son remplaçant) qui occupe une fonction donnée, mais bien le maintien de la fonction au-delà des personnes qui occupent ladite fonction. Ainsi,

on est obligé d’admettre que celui qui est éliminé ne sévira plus, certes. Mais on sait aussi qu’un certain nombre des gens « éliminés » (Laurent-Désiré Kabila, Mutebusi, Nkunda, Ntaganda, Runiga…) sont remplacés sur ce marché du crime international organisé. Le dispositif mis en place au Congo, du point de vue d’analyse criminelle, ressemble aux systèmes identiques dans lesquels ces personnes ne sont que des agents exerçant une fonction, qui sera de toute façon maintenue et qui leur survivra. Mais ce principe «d’élimination» (Makenga mort ou vivant) n’a pas d’effet de prévention générale, c’est-à-dire de stopper l’activité criminelle mise en place si on ne s’attaque pas aux piliers du système criminogène en amont.

Et dans ce dispositif, Makenga ne joue ni plus ni moins la fonction que d’un simple dealer. Ainsi, dans le cadre d’un trafic de drogue par exemple, un dealer peut être arrêté ou tué, mais le dispositif mis en place va continuer de fonctionner comme si de rien n’était, de même avec les terroristes qui se font exploser, ils sont directement remplacés par d’autres. Car on trouvera encore d’autres dealers ou terroristes pour occuper la fonction. Cette théorie se vérifie car on a vu par exemple les Ondekane, Ruberwa (RCD), Mutebusi, Nkunda, Ntaganda(CNDP) et Runiga (M23) se succéder et quitter leurs postes à la tête de tous les mouvements créées comme des marionnettes du Rwanda sans que le dispositif mis en place ne change d’un iota. Même si pour le cas de Ruberwa, on lui a assigné d’autres fonctions de faux opposant à Kinshasa pour infiltrer les milieux de l’opposition tout en maintenant des contacts très étroits avec Kabila et le Rwanda.

De même, on a vu Laurent-Désiré Kabila être propulsé à la tête de l’AFDL et du Congo par ses parrains rwando-ougandais et occidentaux (Etats-Unis). Mais L.D. Kabila, devenu moins manipulable que ne le souhaitaient ses parrains, profita de l’illégitimité de son pouvoir qui ne disposait d’aucune base populaire et de l’impopularité dont il souffrait de la part de la population kinoise qui manifestait de plus en plus une profonde aversion à l’égard de nombreux Tutsi rwandais et congolais tant civils que militaires, qui se comportaient comme s’ils étaient en territoire conquis et étaient devenus les nouveaux maîtres de la capitale et des principales villes congolaises, surtout dans les Kivu et l’Ituri. En effet, la situation à l’intérieur du pays devenait difficilement tenable pour le « Mzee ». Les ‘libérateurs‘ confisquaient des appareils ménagers, des équipements de communication, des voitures, du bétail et des maisons ; les chefs traditionnels étaient dégradés et ridiculisés, certains furent même tués ; les meilleures positions dans la nouvelle administration et dans l’armée allèrent aux ‘nouveaux dirigeants’. La situation devenant de plus en plus préoccupante pour la survie du régime congolais, pressé de toutes parts, tant sur le plan interne que sur le plan international par ses ex-alliés, mais aussi par la fameuse communauté internationale à propos des entraves systématiques du gouvernement congolais au travail de l’équipe d’enquête du Secrétaire Général de l’ONU d’investiguer sur les violations massives des droits de l’homme pendant l’avancée de la rébellion AFDL.

L.D. Kabila se rendit vite compte que s’il veut garder la confiance et l’adhésion du Peuple et le séduire à nouveau, il devait à tout prix se revêtir de sa casquette « nationaliste » et par opportunisme, il ne pouvait plus accepter le diktat de ses faiseurs de rois. Ce statut de nationaliste lui servit d’alibi pour s’émanciper de la tutelle de ses voisins – alliés devenus encombrants et reconquérir le cœur des Kinois. Ainsi, la tentative d’assassinat et de coup d’Etat manqué, fomenté par les anciens alliés pour se débarrasser de lui, vont justifier sa rupture avec le Rwanda et l’Ouganda. Il prendra alors la courageuse décision de démettre et rapatrier sans ménagement tous les soldats rwandais et ougandais le 26 juillet 1998.Une rupture qui va sonner comme un coup dur pour le couple Kagame et Museveni soutenus par l’administration américaine. (Lire F. Reyntjens: la deuxième guerre du Congo : plus d-qu’une réédition ou JJ Wondo: « Les Armées au Congo-Kinshasa. Radioscopie de la force publique aux FARDC« ). Une décision qui sonna son arrêt de mort et le glas de son régime car il sera assassiné le 16 janvier 2001 au profit d’un Joseph Kabila, nommé à la tête du Congo sur décision des Etats-Unis selon les révélations des câbles wikileaks en avril 2013 où l’actuel conseiller spécial du président congolais, maître Jean Mbuyu, explique son rôle dans le choix du jeune « Joseph » comme successeur de Laurent-Désiré Kabila :

« À l’époque, trois autres prétendants convoitaient le fauteuil de président : Gaëtan Kakuji, Mwenze Kongolo et Abdoulaye Yerodia Ndombasi. « La tâche n’était [donc] pas facile », puisqu’il fallait les amener à « accepter Joseph ». Si les deux derniers ont vite cédé, d’âpres négociations ont fini par persuader le premier de renoncer à ses « aspirations présidentielles ». Cet obstacle levé, « la dernière difficulté restait de convaincre Kabila lui-même » de jouer le jeu. « La démarche s’était révélée plus difficile que prévu parce qu’il était initialement très réticent », raconte Mbuyu, toujours cité dans le câble. Il [Joseph Kabila] n’aurait « pas donné d’explications » à ses hésitations, mais Mbuyu pense qu’« il se préoccupait probablement d’abord de sa sécurité personnelle ». Lorsqu’ils eurent enfin son accord, Georges Buse Falay et Jean Mbuyu convoquèrent le Conseil des ministres pour leur présenter Kabila. « Voici votre nouveau président », annoncèrent-ils aux membres du gouvernement. « Il y a eu très peu de discussion » dans la salle, précise Mbuyu. Les vingt-trois autres ministres se contentaient de regarder Kakuji, Mwenze et Yerodia pour voir s’ils approuvaient ou non le choix. « Le deal fut scellé lorsque ces trois figures clés exprimèrent leur soutien » à Kabila, conclut Mbuyu. Donc le choix de Joseph Kabila, imposé par les Etats-Unis premier soutien stratégique de l’axe Kampala-Kigali dans la région des Grands-Lacs avait pour objectif, de poursuivre la politique assignée à son prédécesseur. De même, le jour où Joseph Kabila ne sera plus en mesure de garantir cette politique pro-rwando-ougando américaine, il y aura certainement une autre personne – imposée par les mêmes, qui viendra prendre sa place pour occuper cette fonction comme un nouveau ‘dealer‘ qui remplace un ancien mis hors circuit.

C’est l’une des raisons pour laquelle des analystes estiment que Kabila a toujours mené une politique jugée complaisante envers le Rwanda (Georges Berghezan, Réforme de l’armée congolaise : travail d’hercule ou mythe de Sisyphe, septembre 2012), le protégé des américains dans la région. Ce, jusqu’au jour où la population congolaise l’a compris et l’a mis devant un choix cornélien de choisir de servir soit les intérêts du Rwanda au Congo où il a placé des officiers Tutsi aux postes stratégiques de la défense et sécurité, soit de servir le Congo et de déclarer la guerre au Rwanda en nommant ce pays (même s’il hésite de le faire publiquement à ce jour) comme étant le principal agresseur du Congo via le M23.

D’ailleurs à propos de la position politique de Kabila par rapport au M23 , Georges Berghezan écrit ceci : « La présence consolidée du M23 et celle de dizaines d’autres groupes armés ne favorisera pas la stabilisation et l’urgente amorce de processus de développement et de réconciliation au Nord-Kivu. Aucune solution durable n’est proposée. Celle-ci ne pourrait de toute façon pas se limiter à la seule option militaire. Mais, quoi qu’il advienne, outre les centaines de milliers de déplacés du Kivu, le grand perdant de cette crise est le président Kabila : en manque de légitimité populaire après un scrutin présidentiel très contesté, concentrant le ressentiment des classes laborieuses qui ne voient pas leur condition s’améliorer, il devra parvenir à gérer, simultanément, une retentissante défaite militaire, l’échec de la réforme des FARDC et une politique jugée longtemps trop accommodante envers Kigali. » (Georges Berghezan, Réforme de l’armée congolaise : travail d’hercule ou mythe de Sisyphe).

En conséquence, le vrai enjeu latent de la cette guerre que je qualifie d’une scène de ménage interne rwando-tutsi au Congo est pour Kagame de placer à la tête du Congo un autre pion à Kinshasa pour jouer la même fonction. La stratégie de « libération » ne marche plus, il faut alors changer la rhétorique pour amener les congolais à mordre à l’hameçon mais le peuple congolais se réveille peu à peu de l’ignorance. Sauf une frange de la population qui reste obnubilée et incapable de se sevrer par les profits financiers qui les maintiennent captifs du système mis en place et prête à défendre l’indéfendable malgré le lot de trahisons révélées par la débâcle de Goma dès lors qu’on lui jette un peu d’argent comme des miettes jetées aux chiens sous la table.

Pour conclure, de même LD Kabila, Mutebusi, Nkunda, Ntaganda et Runiga sont passés, de même il arrivera certainement un jour que Makenga, Joseph Kabila subissent le même sort et passent également et que le M23 donne lieu à une quatrième rébellion créée à partir de l’étranger à l’instar de l’Afdl, Rcd-Goma, CNDP sans fondamentalement changer la donne géostratégique dans la région si un leadership responsable, patriotique et non corrompu n’émerge pas au Congo. Tout comme Kagame et Museveni cèderont un jour, à l’instar de Mobutu, leur fonction aux autres, mais si nous attendons toujours que le salut nous vienne d’ailleurs, ce sera la poursuite du cycle infernal qui va persister.

Ainsi, Makenga mort ou vivant, tout cela ne nous rendra pas encore le Congo tant que le pays sera dirigé par une classe politique BMW (Business – Woman – music) à l’instar du spectacle vécu dernièrement avec le cas du député MLC Germain Kambinga au parlement. Un cas, parmi une mare d’immoralité, qui exige que le pays ait à sa tête un leadership capable de moraliser profondément la vie publique et les mœurs citoyennes en profondeur. La société congolaise est profondément en crise populaire et de leadership.

Jean-Jacques Wondo

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