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Problématique des «Originaires» et «Non Originaires» : parcours historique ...

Par le professeur Elikia M’Bokolo

Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (Paris), UNIKIN)

On ne peut que se féliciter de l’initiative aboutie des organisateurs de cette conférence, l’UNIKIN (Université de Kinshasa) et l’UCC (Université Catholique du Congo), avec le soutien de la MONUSCO (…). J’ai suffisamment déploré et sévèrement critiqué le cloisonnement trop étanche des facultés et des disciplines au sein de nos universités pour ne pas me réjouir des promesses de ces trois jours deux rencontres. Voici d’abord deux grandes universités de Kinshasa qui conjuguent leurs efforts et leurs compétences pour aborder les questions qui nous sont soumises, en associant aussi à cet examen des chercheurs et des enseignants venus d’autres institutions. Surtout, nous nous trouvons enfin ici venus de disciplines diverses, mais tellement proches qu’on s’étonne de ne pas les voir plus souvent associées dans les réflexions et les débats concernant la dimension intellectuelle des problèmes de tous ordres auxquels la RDC se trouve confrontée, dans lesquels elle s’est aussi laissée embourbée depuis plusieurs décennies : je veux dire les disciplines réunies dans les facultés de philosophie et lettres, dans les facultés des sciences politiques, sociales et administratives et dans celles des sciences économiques et juridiques. Enfin, et ce n’est pas le moindre mérite de l’interpellation qui nous est faite, nous presse de combiner les exigences les plus scrupuleuses de l’excellence académique et les investissements les plus féconds de « l’intellectuel engagé ».

Il ne faudra pas moins que tout cela pour avancer dans les questions que nous avons à examiner et, si possible, à résoudre.

Préalables

Je dois avouer qu’à la réception de l’annonce de cette conférence, puis à l’examen de la « note conceptuelle », j’ai été plongé dans une extrême perplexité que je me suis d’ailleurs empresser de partager avec quelques collègues de l’UNIKIN et d’autres universités d’Afrique et des diasporas africaines, lors des manifestations organisées à l’occasion du « Jubilé d’Or » de l’OUA et de l’UA. « Originaires et Non-Originaires » ? A Addis Abeba, il y a à peine à peine quinze jours, nous étions en train de concevoir des mécanismes pédagogiques, dans le sens le plus large, pour promouvoir une citoyenneté africaine, fondée sur le partage réfléchi d’une histoire commune étalée sur plusieurs millénaire et sur l’activation, à travers les leviers les plus modernes, d’une mémoire commune : une mémoire d’inventions multiples, de souffrances séculaires et de remarquables victoires contre toutes les dominations passées, autant de conditions pour entretenir une vigilance permanente contre les risques d’hégémonismes qui menacent encore et toujours notre continent et les diasporas issues de l’Afrique. Chacun peut donc imaginer le choc subi à se trouver projeté vers une « problématique » aussi éloignée des ces ambitions-là !

Mais, j’assume volontiers le rôle qui m’est dévolu d’ouvrir les hostilités ou, peut-être, plus simplement, les débats sur une question de fait très importante, quoique d’importance apparemment récente. Elle n’apparaît pas, en tous les cas, au premier rang des analyses que nous avons réunies dans l’ouvrage collectif dédié aux élections pluralistes de 2006 et auquel ont participé plusieurs des spécialistes présents dans cette conférence. Cette question des « originaires » et des « non originaires » (que je transcris exprès en minuscules) apparaît bien comme un « non-dit » ou un « mal dit » de la société congolaise contemporaine. De ce « mal-dit » et de ce « non-dit », chacun sent confusément que la formulation et la solution conditionnent beaucoup le parcours de notre devenir en tant que nation et en tant qu’Etat de droit et république fondée sur le respect et la promotion des droits et devoirs démocratiques. On peut dire que c’est la question des « originaires » et « non originaires » : une fois encore, les guillemets s’imposent car, à l’évidence, nous ne serions pas tous d’accord pour affirmer que ces « mots » sont bien ceux qui conviennent le mieux pour désigner tout ce dont il va être question pendant ces trois jours de réflexions.

Formulons encore autrement l’objet de nos débats à venir. On pourrait, en sortant volontairement des références habituelles utilisées en RDC, les désigner autrement. Ces « fraternités de terroirs » sont, selon les cas et selon les échelles où on les observe, des fraternités réelles ou, au contraire, des « fraternités » supposées ou postulées. Il peut aussi s’agir d’« allégeances » locales, peut-être même « localistes » : ce néologisme vise, au-delà des lieux où ces « allégeances » s’exprime, la dimension idéologique des discours et des postures qui les accompagnent. On peut encore parler de cette espèce de « préférence locale » : cette notion est utilisée ici à dessein, pour paraphraser l’expression terrible de « préférence nationale », dont on connaît les heurs et malheurs dans d’autres pays réputés être des démocraties de longue date : les groupes d’extrême droite européens qui l’ont banalisée depuis les années 1980 ne dissimulent pas leur rejet des « étrangers », dont un grand nombre d’immigrés africains, accusés de prendre le travail, le pain et les ressources des « vrais nationaux », appelés aussi « Français de souche », « Italiens de souche », « Autrichiens de souche », etc…

Toutes ces expressions renvoient à la même chose, que cette conférence nous enjoint de dévoiler et d’examiner : cette quête de l’entre soi, cette passion de l’entre soi, cette fièvre de l’entre soi, un entre soi supposé répondre aux attentes plus ou moins confuses et résoudre de multiples problèmes qui ne sauraient trouver une satisfaction satisfaisante et durable à l’échelle de la « nation » et de la « république » dont, au-delà de l’entre soi, nous sommes tous des membres et des citoyens.

A première vue, ce problème ne devrait pas exister ou ne devrait pas se poser en des termes aigus à l’échelle de la RDC. Notre constitution actuelle, celle de 2006, dont beaucoup de spécialistes et de citoyens considèrent comme la « moins mauvaise » ou la « meilleure » que nous ayons eue depuis l’indépendance, est claire sur ce point. Elle déclare en son article 13 : « Aucun Congolais ne peut, en matière d’éducation d’accès aux fonctions publiques ni en aucune autre matière, faire l’objet d’une mesure discriminatoire, qu’elle résulte de la loi ou d’un acte de l’exécutif, en raison de sa religion, de son origine familiale, de sa condition sociale, de sa résidence, de ses opinions ou de ses convictions politiques, de son appartenance à une race, à une ethnie, à une minorité culturelle ou linguistique. »

Le propos, à première vue, est très clairement posé. Mais, la formulation en est lourde et laborieuse. D’une part, l’article balaie très large. D’un autre côté, il apparaît aussi très contestable : il recourt en effet à certains concepts et notions (race, ethnie, minorité) qui font débat dans beaucoup de pays, qui devraient aussi faire débat au Congo et même, à mon avis, disparaître de notre vocabulaire. Contentons-nous seulement, pour commencer, du la notion de « race » qui a fait des ravages au Congo comme dans le reste de l’Afrique et qui a légitimé, entre autres, la mise en esclavage et la déportation des « Noirs » avant de servir de justification à la domination et à l’exploitation coloniales.

Bon, admettons que l’option soit clairement prise. Or, force est de constater que les pratiques sociales, politiques et institutionnelles montrent le contraire tant sont nombreuses les discriminations et les exclusions pratiquées par les uns, subies par les autres précisément « en raison de (leur) appartenance (supposée ou soupçonnée) à une race, à une ethnie, à une minorité culturelle ou linguistique ».

De ces constats vient la question posée à l’historien de procéder à un « parcours… de la problématique des Originaires et des Non Originaires ».

Revenons à l’article 13 de la constitution. Sa formulation suggère qu’on veut se protéger de deux risques ou de deux tentations. Il s’agit, d’une part, de la survenue, chez nous en R.D.C., de pratiques discriminatoires constatées ailleurs (d’où cette rhétorique qui inclut même les « minorité culturelle ou linguistique » et qui ressemble à un copier coller des déclarations généralisantes, universalistes et passe-partout dont les organisations internationales sont coutumières). On entend se protéger aussi de faits avérés et de leur banalisation ou aggravation, c.-à-d. l’existence de pratiques discriminatoires, sources de conflits, notamment entre « originaires » et « non originaires »

Que doit faire, que peut faire l’historien ?

Le premier choix, le plus facile, serait de se complaire dans un simple récit ayant l’apparence d’aller de soi et de l’« objectivité » et qui montrerait que ces affinités électives sont des « réalités » bien avérées et qu’elles auraient été de tout temps dans l’espace qui est devenue notre RDC, auquel cas il faudrait en prendre acte, voir si la RDC ne doit pas en tirer des leçons pour son organisation et mettre en œuvre des dispositions institutionnelles et politiques qui intègrent cette espèce d’héritage.

Une autre option s’attacherait à montrer que ces affinités ont commencé à se manifester à un moment donné, dans un contexte donné ou dans une conjoncture donnée. Il s’agirait alors d’une habitude progressivement acquise et qui se prolongerait au point de devenir une sorte de comportement « naturel », parce que les éléments constitutifs de ce contexte ou de cette conjoncture continueraient de perdurer.

Le problème de ces deux approches, qu’on entend souvent dans le discours intellectuel, social et politique congolais, est qu’elles ne prennent pour argent comptant le langage populaire et le vocabulaire spontané des acteurs sociaux sans se poser la nécessaire question préalable dans les sciences de la société : de quoi les notions d’« originaires », de « non-originaires » et de « conflits entre originaires et non-originaires » sont-ils exactement le nom ? Faute de ce préalable, on en vient fatalement à légitimer, au-delà des mots en usage dans la société, des pratiques dont l’inscription prétendue dans notre « naturel », dans notre « héritage », dans notre « personnalité » est pour le moins problématique.

Il existe heureusement un autre parti. C’est de prétendre, en prenant les mots comme ils sont (« originaires », « non originaires », « conflits entre originaires et non-originaires »), que les choses que ces mots prétendent désigner s’inscrivent dans des processus de va-et-vient, de flux et reflux, variables très probablement selon les lieux et selon les temps. Dans une démarche qui se préoccupe de rendre compte de l’éventuel piège des mots et de mettre à nu la complexité des choses qu’ils désignent, il faut donc restituer les contextes, les lieux et les conjonctures de leur apparition, de leur mouvement de flux et reflux, d’« ouverture » et de « clôture », pour reprendre l’excellente distinction du philosophe Henri Bergson. Il faut aussi aller à l’identification des acteurs qui en sont les promoteurs, les bénéficiaires, les victimes ou simplement les supports. C’est dire que nous, spécialistes et intellectuels d’aujourd’hui, ne nous considérons pas comme de simples scribes de soi disant « réalités objectives » dont n’aurions qu’à rendre compte : nous interpelons cette histoire longue et toujours active dans notre présent pour ne pas en être des prisonniers aveugles et consentants et pour, bien au contraire, construire un autre présent et jeter les jalons d’un futur, l’un et l’autre répondant aux critères implacables de l’excellence académique et aux exigences morales et sociales de l’intellectuel engagé. C’est dans cette dernière démarche que j’inscris les réflexions, analyses et propositions qui suivent.

Tout en saluant l’initiative qui nous réunit, je dois dire que je ne suis pas tout à fait d’accord avec la chronologie proposée par l’argumentaire, par ailleurs stimulant, ouvert et fécond, de notre réunion : « Si dans ses débuts historiques, la différence entre « originaires » et « non-originaires » d’un territoire peut s’expliquer en partie par la mauvaise articulation entre l’Etat colonial et post-colonial d’une part et le sentiment identitaire des communautés locales en quête d’une certaine sécurité d’autre part (articulation aussi produite par le système colonial), elle est devenue un mécanisme très conflictuel de lutte… ». C’est, sans doute faire la part trop belle à l’histoire courte du « temps présent ». Pour un débat de fond, sans complaisance et ouvert à la recherche de solutions durables, il faut sans aucun doute ouvrir et allonger les perspectives.

I – Parcours et cheminements dans l’histoire ancienne des sociétés congolaises

Un rapide coup d’œil rétrospectif sur les sociétés anciennes du bassin du Congo peut nous apporter des éclairages utiles.

Il ne s’agit évidemment pas de poser à ce passé lointain « la question des originaires et des non originaires » : ce serait un grave péché, le plus grave sans doute au regard de l’histoire, le péché par anachronisme. Il suffit plus simplement de voir :

- comment se présentaient des phénomènes qu’on pourrait rapprocher -----

- si l’on a vu surgir des problèmes et des difficultés et de quelle nature

- comment ceux-ci ont été résolus

- quelles leçons nous pouvons éventuellement en tirer

Il n’y a pas que le péché par anachronisme, il y a aussi la tentation de faire de l’ethnographie à l’imparfait :

-partir des observation faites –disons- pendant les années 1930, voire 1940, et le projeter dans le passé en inférant qu’il en était toujours ainsi ;

-ce qui, du coup, est la négation même de l’histoire

-cette « ethnographie à l’imparfait » se double souvent, très souvent, d’une vision qui assimile les liens qui régissent l’Etat avec les liens qui régissent la famille, alors que les premiers sont très largement artificiels et que les second se veulent naturels, fondés sur le sang, même si les cas ne manquent pas de « parenté fictive »

-Je ne vous accablerai pas avec le psittacisme de l’ethnographie coloniale et postcoloniale qui en est l’héritière. Même les bons livres se laissent parfois tomber dans cette lecture et cette interprétation « naturalistes » (naturaliser par les liens du sang des relations qui sont artificielles, issues de la violence ou des arrangements entre groupes et entre personnes). « C’est de l’ordre hiérarchique familial que serait né l’ordre politique. Sur le plan familial, on distingue l’aîné du cadet, l’époux de l’épouse, l’homme libre de son esclave domestique. Sur la base de la distinction aîné/cadet, époux/épouse s’est instaurée une autre, similaires, entre unités familiales. On en était à (101) à l’initiale de la hiérarchie politique. Le clan « aîné » se distinguait des clans « cadets », de même que le clan « époux » des clans « épouses. » (Ndaywel è Nziem, I. pp. Nouvelle histoire du Congo. Des origines à la République Démocratique, Bruxelles, Le Cri – Afrique Editions, 2008, pp. 101-102)

Une lecture rétrospective, très problématique : généralisée à l’ensemble des sociétés congolaises, faite certes de manière hypothétique, mais qui comporte des indications lourdes de conséquences :

-l’ordre politique mobilise des parents, par définition tous originaires du lieu ;

-pas de « non originaires » ;

-on pourrait assimiler aux « non originaires » les « esclaves domestiques », par définition exclus de l’espace politique.

La mobilité des gens, mobilité lente bien sûr (rien à voir avec des « vagues » ou des « hordes » de migrants (à la différence de Mauny, Thomas et Vansina (dir.)The Historian in Tropical Africa)

L’image récurrente : à la fondation de l’Etat (processus très lent, presque toujours ramassé dans des récits héroïques) se trouve souvent un personnage thaumaturge (plus souvent homme que femme), faiseur de prouesses, parfois auteur d’actes miraculeux ou monstrueux :

-le chasseur venu de quelque part ;

-le guerrier entouré d’une bande à sa dévotion

-donc, dans notre vocabulaire, « un non originaire »

-un exemple tardif : Mushidi et sa bande de bayeke.

Sur quoi s’exerce le pouvoir ? Sur un ensemble complexe : des espaces et des terres ; des personnes référées globalement comme si (c’est le cas) ce qui compte, ce n’était pas leur rapport à la terre (« originaires »/ »non originaires »), mais leur rapport au chef (peu importe son titre)

La titulature de Nzinga Mvemba (1506-ca. 1543) :

« moi, Afonso, par la grâce de Dieu, roi de Kongo, de Loango, de Kakongo et de Ngoyo, d’en-deça et d’au-delà du Zaïre (Nzadi), Seigneur des Ambundo et d’Angola, d’Aquisima, de Musuru, de Matamba, de Mulilu et des Anzico, de la conquête de Pangu Alumbu, etc. » (EM, I, 152)

Rareté des hommes en tant que ressources, mobilité des hommes à travers des espaces progressivement ou provisoirement transformés en « pays », relations complexes d’alliances, (impliquant la valorisation de parentés fictives) ou de subordination.

La « photographie » (immobile, figée, sans traçabilité…) qui nous vient de la fin du XIXe siècle doit être regardée avec le maximum de précaution, sinon de méfiance)

Le problème, très sérieux problème, tient au fait que ce pays est resté obstinément prisonnier de cette photographique :

Art. 10 sur la nationalité « soit d’origine, soit d’acquisition individuelle » (2è §). Le 3è § très étonnant et problématique :

« Est Congolais d’origine, toute personne appartenant aux groupes ethniques dont les personnes et le territoire constituaient ce qui est devenu le Congo (présentement République Démocratique du Congo) à l’indépendance. »

On remarquera qu’il s’agit en fait de multiples origines, une conception qui procède de fait à une série d’exclusions progressives :

-origine de la « nationalité » ;

-origine par rapport aux « ethnies » ;

-origine par rapport au terroir, par rapport aux subdivisions territoriales de la République.

L’espace politique, qui est un fait artificiel, transformé en donnée de nature et les liens sociaux (artificiels et, explicitement et implicitement, contractuels) érigés en liens naturels, de « parenté » ou de « sang ».

D’où tout ceci vient-il ?

Pas des héritages proprement « congolais », propres aux pratiques et conceptions des sociétés anciennes de l’espace où nous vivons aujourd’hui.

II – Les césures du temps colonial

Le « temps colonial », un temps assez bref en réalité, au regard de l’histoire connue des historiens et que tout le monde en RDC devrait connaître dans ses grandes lignes : une histoire et une préhistoire d’un millénaire environ.

Mais, cette « longue durée » a échappé à la mémoire. Du coup, les « 80 ans », comme on dit, du temps colonial prend une ampleur disproportionnée à sa durée réelle. Mais, celle-ci a imposé à l’espace congolais (qu’elle a construit et façonné) et aux sociétés congolaises (qui existaient avant elle) une série de ruptures d’une radicalité absolue, une série de ruptures aux effets très durables (bien au-delà de sa propre existence) et le tout dans une succession de violences et de pratiques de « brutalisation » physique, culturelle, psychologique et symbolique dont nous n’avons pas encore, en réalité, fini de sortir.

Le débat congolais, très vif, mais pas vraiment centré sur notre sujet (à l’exception notable de Mabika Kalanda ----xxxx----) :

-Lumumba : un « nous » englobant

-Les témoignages recueillis par le cinéaste belge Thierry Michel

-Valentin Mudimbe sur la « bibliothèque coloniale » (les modes de penser, les concepts…), ce qu’on désigne aujourd’hui comme la « colonialité »

La colonisation n’a pas su et n’a pas pu instrumentaliser totalement la société congolaise : cette fois-ci il faut utiliser le singulier et ce n’est pas sans conséquence pour le problème auquel nous sommes confrontés.

-La société congolaise n’est pas une donnée naturelle.

Bien connu : un regroupement dû à de multiples hasards et circonstances ; qui a fini par déclarer sa « volonté de vivre ensemble ». La contrainte rassembleuse due au fait colonial et aux « situations coloniales » s’est transformée en un « contrat » dans des conditions telles que il est assez souvent et subrepticement remis en question.

L’instrumentalisation : paradoxale, unit et divise à la fois

-Favorise l’homogénéisation (en termes juridiques et en termes de représentation de soi des C.)

Homogénéisés :

Noirs « pas civilisés », sauvages

Maudits

Indigènes dépourvus de droits

En même temps, procède à des classifications et à toutes sortes de manipulations : d’où les termes repris tels quels dans l’article 13 de l’actuelle constitution :

Races

Tribus, peuplades, ethnies

La territorialisation des unes et des autres :

Autochtonie (« Arabes »/ « Arabisés »), « Bantu »/ « Nilotiques »/ « Hamites »

« Originaires » et « Non-originaires »

Les spécificités physiques, morales et intellectuelles

Les hiérarchies supposées

Les relations entre ces groupes vues par les colonisateurs

Les migrations de travailleurs organisées et entretenues de manière à combattre toute sorte de conscience intégratrice : conscience de « classe » (dominée), conscience de « sujet », conscience de « race » (voir l’obsession du garveyisme entre les deux guerres, puis l’obsession du communisme (non seulement pour son « athéisme », mais aussi pour cette solidarité de classe)

Les réponses congolaises : réactives et inventives.

L’invention de pistes nouvelles et la création de ces références collectives et unificatrices:

-La prise en charge de soi comme « Noir » à cette époque d’une manière neutre, revendicative, fière et, parfois, ostentatoire :

Le phénomène kimbanguiste, non réductible aux seuls « Bakongo »

(voir les conséquences des déportations : la soi-disant « religion des Bakongo » devenant « religion des Noirs »)

-Les intellectuels (pas les « élites », terme pour le moins tendancieux et visiblement erroné) :

La Voix du Congolais

-Les artistes :

Léon Bukasa :

Tika ngai nabala muluba

A hé Congo na biso hé bana basi bakomi kitoko

-Et finalement, même les politiques:

Qui, enfin, parle des « originaires » et des « non originaires » avant 1957 ?

Même l’ABAKO, l’ancêtre de nos formations politiques, accusé souvent, à tort et à travers, de ne se préoccuper que des « originaires » du Bas-Congo, ne parle pas des « originaires ».

Une expérience personnelle et l’expérience de tout le monde.

L’expérience personnelle.

Dans les années 1950, jusqu’en 1957 (les fameuses élections municipales), voire jusqu’en 1959, l’ABAKO était notre parti, nous les ado scolarisés de Kinshasa. Nous étions fiers de Nzinga Nkuwu : le roi kongo qui a accueilli les Portugais en son royaume; nous étions fiers de Nimi a Lukeni, le brave guerrier, sans sentiment, qui a piétiné ses propres origines et a tout mis au service de la création du royaume, devenu le royaume kongo. Nous étions en rage devant les mésaventures, sinon la naïveté de Nzinga Mvemba (Afonso 1er), qui s’est trahir par la cupidité des Portugais.

Nous savions aussi, bien sûr, que Kinshasa avait été longtemps la résidence des Teke (les fameux « Nga » striés de remarquables rayures…). Mais, voilà, le temps avait passé et nous étions tous là, habitants et jeunesse de Kinshasa, maîtrisant une demi- douzaine de langues, et ignorant allègrement les origines des uns et des autres.

L’expérience de tout le monde.

Qui pouvait être membre de l’Abako et qui était effectivement membre de l’ABAKO, dans ces années 1950. Tous ceux qui, originaires ou non originaires, travaillaient ou vivaient au Bas-Congo.

Exemples personnels nombreux.

Ne pas être « originaire » kongo et se sentir partie prenante des problématiques, des enjeux et des perspectives de l’endroit où, Congolais(e), le sort ou les contrainte du système colonial vous a conduit à jeter votre ancre.

Nous voilà dont, presque au terme de la colonisation. Qu’est-ce que la société congolaise ? Question encore : société(s) congolaise(s) au singulier ou au pluriel ?

Optons pour le singulier, en raison de « la situation coloniale » qu’analyse précisément à cette époque un nombre croissant de sociologues, dont Georges Balandier.

Une société territorialisée

Une société ethnologisée et même (« ethnicisée »

Une société « provincialisée ».

Une société « régionalisée » par des clivages absurdes, régionales (Nord/sud ; Est/Ouest)) ou locales (« originaires »/ »non originaires »)

Assignation.

Appropriation.

Au terme de la colonisation ? Mais personne ne savait, en 1957, que la colonisation était agonisante.

Personne, sinon une poignée de gens bien placée :

-les habitants du nord de l’Equateur, en face de l’Oubangui-Chari dont le champion parlait du MESAN (…) et d’une vaste République Centrafricaine (englobant progressivement…) ;

-les « gens d’eau », riverains de l’Oubangui et du Congo, voisins du Moyen-Congo Français.

Deux colonies comme nous.

Deux maires noirs dans la capitale (pas comme nous).

Deux gouvernements aux responsabilités locales (pas comme nous).

Rien de tel dans les autres régions du Congo. Une effervescence sociale, peut-être politique, indiscutable. Mais,

-les lourdes contraintes du système

-ses manipulations au cours des années 1956-1958/59

-un environnement (notamment frontalier) sans issue : étoffer peut-être

Le Portugal et le luso-tropicalisme

L’Afrique centrale britannique et le modèle sud-africain (l’apartheid)

L’Afrique de l’est (swahiliphone) éloignée de nous par les stéréotypes des « Arabisés » (par définition « étrangers ») et par les manipulations ethniques au Rwanda (1959)

III – La difficile sortie de la colonialité : l’impossible sortie de la colonialité ?

Les leçons de la IIe République : la « nation » introuvable, la « République » inexistante

Les leçons à tirer des élections récentes en RDC et des difficultés à articuler Etat de droit, développement économique, bien-être social et égalité formelle et réelle des citoyens.

De là l’importance nouvelle accordée à la question des « originaires » et des « non originaires ». Mais, cette question n’est pas la seule question qui préoccupe et agite la société congolaise. Faisons attention à ne pas prendre l’arbre pour la forêt.

Qui manipule qui ?

Les subterfuges pour parer au plus pressé laissent sans réponses les attentes réelles de la société, même si –faut-il s’en étonner ?- elles restent plus ou moins clairement formulées :

-les lacunes de l’Etat vis-à-vis des citoyens

-la Nation à plusieurs vitesses

-le République à réinventer

On doit évoquer, pour finir, des pistes pour s’en sortir durablement, à condition d’inventer un autre « vivre ensemble » comme « Etat », comme « nation », comme « République ».

La problématique des « originaires » et « non-originaires » risque de simplifier abusivement la problématique plus large des identités. Les identités, à mes yeux, sont plus individuelles que collective.

Dire, par exemple, que « les Luba » sont comme ceci ou comme cela, que « les Nande » pensent ceci ou cela, qu’on pourrait « reconnaître » au premier coup d’œil « un Luba » c’est, évidemment, inventer un sujet collectif qui ne résiste guère à l’analyse. Tout au long du XXe siècle, des totalitarismes se sont ingéniés à inventer précisément des sujets collectifs aux motifs que l’on connaît de repli sur soi et, en même temps, de volonté et de pratiques d’extermination envers « les autres » et avec les résultats désastreux qu’il ne faut jamais cesser de rappeler.

Postuler que l’identité est individuelle ne veut pas dire qu’elle soit « simple » ou univoque. Elle est évidemment plurielle : chacun est, se sent et se sait plusieurs êtres à la fois. Plurielle, l’identité est aussi situationnelle : c’est dans des situations spécifiques qu’on est plutôt ceci que cela. Cette identité ne manque pas de paradoxe car, si elle se présente comme inclusive en intention, elle apparaît comme exclusive en acte.

Que faire ?

L’action de l’Etat pris en tenaille entre plusieurs échelles : nationale, régionale et africaine ; internationale dans le cadre de ce qu’il est convenu d’appeler « la mondialisation ».

L’action des médiations sociales.

L’action des partis.

Le rôle enfin des universitaires, intellectuels et acteurs culturels.

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