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Senegal : Organisation de systeme de sante ...

Couverture Médicale Universelle au Sénégal :
Interview avec Madame le Professeur Awa Marie Coll Seck, Ministre de la Santé du Sénégal

Allison Kelley « Le nœud de la guerre, c’est le chef de l’Etat. Pour la couverture médicale universelle au Sénégal, il y a un vrai leadership présidentiel »AGK -Nous avons tous suivi les élections présidentielles au Sénégal avec beaucoup d’intérêt et d’enthousiasme. Nous sommes maintenant curieux de savoir la vision de ce nouveau gouvernement en ce qui concerne la couverture médicale universelle (CMU).Mme la Ministre -

 

Je suis très contente de voir qu’il y a cet intérêt, même je peux dire international, par rapport au Sénégal. Je peux vous dire que même pendant la campagne, le Président Macky Sall avait déjà mis sur son agenda la CMU. C’était très important pour lui parce qu’il a beaucoup voyagé dans le pays pendant la campagne et il a beaucoup entendu que l’une des premières préoccupations de la population est l’accès aux structures de la santé, des problèmes pour se faire soigner, en termes d’accessibilité financière….Il faut trouver un moyen pour pallier cette barrière financière au moins pour les premiers soins.

 

La première question que mon président m’a posée est :– comment on va le faire ? Je connaissais certaines expériences déjà, comme celle du Ghana ou du Rwanda. Le défi est qu’aujourd’hui au Sénégal, seulement 20% ont une assurance de santé. On fait donc beaucoup de plaidoyer pour inciter les populations à adhérer à une mutuelle de santé, mais pour celles qui n’ont pas les moyens, leur prise en charge se fera à travers un Fonds de Solidarité qui sera créé.

 

Dans un premier temps nous faisons des expériences pilotes dans des zones les plus peuplées et les plus pauvres du Sénégal. Avec la Coopération Technique Belge, on a crée un Fonds d’Equité qui prend en charge, sur base d’une enquête, les personnes pauvres et vulnérables (les enfants de moins de 5 ans, les orphelins, les handicapés). C’est en fait une subvention à l’adhésion à une mutuelle. La personne prise en charge va dans les structures de santé comme celle qui a payé sa carte mutuelle.Notre objectif, c’est d’aller vers un fonds national de solidarité, qui sera alimenté par des sources différentes, mais surtout par des taxes sur le tabac et l’alcool (un marché très grand au Sénégal). On ne va pas vers une TVA générale, ce n’est pas notre objectif pour l’instant.

 

Pour montrer sa volonté, le chef de l’Etat y mettra directement de l’argent du budget national du Sénégal. Il a demandé même que nous ayons un conseil présidentiel sur la CMU pour que lui-même s’engage encore, donc il y a un vrai leadership présidentiel.

 

 Vous avez parlé d’une phase pilote de ce fonds de solidarité dans quelques régions. Quelle est l’articulation entre ce fonds et les multiples gratuités qui existent déjà ?

 

 Il fallait vite comprendre le fonctionnement, l’organisation de ce fonds pour pouvoir passer rapidement à l’échelle. Pour les soins de base, le Fonds sera un plus aux gratuités qui existent déjà au Sénégal. Mais le Fonds sera là pour financer l’adhésion aux mutuelles, le budget d’Etat continuera de prendre en charge les gratuités (ARV, césariennes, PEV). On est toujours dans la réflexion pour voir si le Fonds devrait gérer tout le financement de la santé, ou s’il cible l’accès. Il y a beaucoup de modèles, et on ne veut pas avoir un Fonds qui commence par gérer trop de choses.On ne veut pas non plus qu’il y ait trop de pilotes – pendant maximum un an – avec une évaluation prévue, et après nous allons tout de suite passer à l’échelle en fonction des leçons qu’on aura apprises. On ne veut pas mettre dix ans pour aller à l’échelle.

 

 Quel est le taux de couverture médicale global envisagé d’ici 5 ans ?

 

 On a déjà parlé d’un taux de 50 % d’ici 2015 - une augmentation de plus de 200%. On va du 20% couvert aujourd’hui de façon un peu spontanée, vers quelque chose de beaucoup plus organisé, avec une meilleure information. Je vous donne l’exemple des paysans du Sénégal, la plupart n’ont pas accès aux mutuelles. Ceux qui ont une couverture aujourd’hui sont ceux qui sont dans le privé ou dans la fonction publique, dans les deux cas c’est obligatoire. Il faut savoir gérer le monde rural. Ce sont les cultures saisonnières – au moment ou ils ont des revenus il faut capter la prime pour la mutuelle. Mais aujourd’hui ils ne sont même pas informés. Je suis sûre que quand ils ont l’argent après la récolte, si une bonne information est faite, ils peuvent cotiser pour un an.

 

C’est ambitieux un taux de couverture de 50% d’ici 3 ans – quels sont les défis que vous voyez ?

 

Les grands défis, c’est d’abord le plaidoyer. Pour toute stratégie nouvelle, il faut avoir les meilleurs messages possibles. Par exemple, il faut dire clairement que ces 80% de la population (non-couverts) payent beaucoup plus en allant individuellement aux structures de santé qu’en prenant une mutuelle de santé. Le plaidoyer ne doit pas parler de la couverture universelle vaguement, il faut que la population comprenne ce qu’elle gagne. Pour faire passer ce message sous forme de plaidoyer national, on pourrait utiliser les religieux, les chefs traditionnels, les chefs de mouvement comme des relais.En interne entre les Ministères, franchement, il n’y a pas de problème; je vois le Ministre de l’Economie et des Finances quand je veux, le Ministre du Budget aussi, ils m’appellent quand ils veulent, on est ensemble. Le fait que le chef de l’Etat soit engagé dans tout ça, tout le monde fait le travail. Moi je pense qu’au lieu de faire beaucoup de discussions autour des Ministres de la santé et des finances, le nœud de la guerre c’est le chef d’Etat.

 

Le leadership au niveau de l’Union Africaine en permanence sur ce sujet me semble très important. Plaidoyer national, plaidoyer inter-gouvernemental, plaidoyer international – il faut que ça continue – c’est un défi. Si on a le leadership politique sur place et s’il y a une bonne communication, on peut régler des choses.Le deuxième problème, c’est la mobilisation des ressources pour alimenter le Fonds. Je suis allée au Ghana ou j’ai vu l’importance des taxes dans la couverture du NHIS. C’est clair que c’est important, mais ne font-ils pas un peu trop ?

 

Au Sénégal, si on en met trop, ça ne passera pas. Nous, on vise à diminuer le train de vie de l’Etat ; ces économies iront partiellement à la santé, entre autres bénéficiaires. Il faut faire attention aussi de ne pas faire comme le Rwanda où c’est surtout les partenaires au développement qui mettent l’argent. Certes c’est un « success story », mais le jour où les partenaires ne seront plus là, qu’est-ce que le pays va faire ? ça demande beaucoup de réflexion, mais nous visons un système de financement mixte.

 

(Interview réalisé à Tunis le 5 juillet 2012 durant la conférence interministérielle "Value for Money, Sustainability and Accountability in the Health Sector")

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