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Côte d′Ivoire : AFFAIRE PROCUREUR C/LAURENT GBAGBO : DE LA TRANSFORMATION DE LA QUALITÉ DU PRÉSIDENT LAURENT GBAGBO ...

Côte d′Ivoire
AFFAIRE PROCUREUR C/LAURENT GBAGBO : DE LA TRANSFORMATION DE LA QUALITÉ DU PRÉSIDENT LAURENT GBAGBO
Publié le : 13/02/2013

 Source : ApricaInfo

   
 
AFFAIRE PROCUREUR C/LAURENT GBAGBO : DE LA TRANSFORMATION DE LA QUALITÉ DU PRÉSIDENT LAURENT GBAGBO

Le 19 Février 2013, se tiendra à la Cour Pénale Internationale (CPI), l’audience de confirmation ou d’infirmation des charges retenues par le procureur de cette juridiction internationale contre le Président Laurent Gbagbo. Cette audience aura pour objet de vérifier le bien fondé des charges consignées dans le document de notification des charges dont la dernière version, à l’instar de ses devancières (1), ne cesse de soulever de multiples questions. Le fait est que le procureur Fatou Bensouda a fait siennes les accusations retenues par son prédécesseur Luis Moreno Ocampo, sans toutefois manquer d’apporter une touche particulière.
 
Dès l’entame du document de notification des charges, la question relative à la qualité du Président Laurent Gbagbo s’invite dans le débat. En effet, l’on se pose la question de savoir si Laurent Gbagbo est oui ou non le Président élu de la République de Côte d’Ivoire. Selon le procureur, Laurent Gbagbo est un vulgaire usurpateur qui a mis en place « une politique visant à le maintenir par tous les moyens au pouvoir en qualité de Président de la Côte d’Ivoire » (1er paragraphe acte de notification des charges). C’est donc en cette qualité, que Laurent Gbagbo comparaîtra devant les juges de la Cpi. Ce travestissement grossier a un fondement politique et juridique.
 
Fondement politique

La reconnaissance de « la victoire » de Ouattara par la communauté internationale constitue le fondement politique du travestissement de la qualité du Président Gbagbo. Cet acte de reconnaissance a consisté à soutenir « les résultats » du Président de la Commission Electorale indépendante (Cei) à l’exclusion de ceux donnés par le Conseil Constitutionnel, seule institution habilitée selon le droit positif ivoirien, à proclamer les résultats définitifs d’une élection présidentielle (voir articles 94 et 98 de la constitution). Le paragraphe 8 du document de notification des charges précise : « La communauté Internationale, dont l’Onu, l’Union africaine, la communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) et l’Union européenne ont également reconnu la victoire de Ouattara et exhorté Gbagbo à quitter le pouvoir ».
 
Autrement dit, la CPI reconnaissait en filigrane Ouattara car selon le préambule de son statut, elle est « reliée au système des nations unies ». Cela revient donc à dire que la reconnaissance exprimée par l’Onu s’impose à la CPI. Il convient néanmoins de s’interroger sur cette reconnaissance endossée par la Cpi. Il est notoirement établi que la reconnaissance est un acte politique qui repose sur les intérêts des parties en présence. Elle est le plus souvent tributaire des rapports de force politique en jeu. L’espèce en question, bien que rentrée par effraction dans le commerce des relations internationales, ne se débarrasse pas du poids des intérêts politiques.
 
Nicolas Sarkozy se présente comme la synthèse de ces intérêts. Il a intégré la crise ivoirienne à son patrimoine uniquement pour soutenir son ami Ouattara, qui serait à ses yeux, le meilleur défenseur des intérêts de la France. Plusieurs faits l’attestent : lettre privée adressée au Président de la Cei(2), injonctions au Président Gbagbo:« Il n’y a pas d’autre possibilité pour M. Gbagbo que de quitter à bref délai un pouvoir qu’il usurpe », réception des lettres de créance d’un ambassadeur nommé par Ouattara, autorisation du bombardement de la résidence de Gbagbo en collaboration avec Ban ki Moon, (selon Jean-Marc Simon, ancien ambassadeur de France en Côte d’Ivoire) etc. En un mot, le processus de reconnaissance a été lancé par la France. La Cedeao, l’Uemoa (!), l’Ua, l’Onu et l’Union européenne n’ont fait que respecter la volonté politique de la France, « propriétaire » de la Côte d’Ivoire. La Cpi, appendice de l’Onu n’a donc pas tort lorsqu’elle affirme que Laurent Gbagbo « était déterminé à rester au pouvoir ». Etant au service de l’Onu, elle ne peut que partager ses vues, mêmes les plus folles. En considérant donc Laurent Gbagbo comme un usurpateur, la Cpi ne se comporte plus comme une institution crédible, impartiale, mais plutôt comme un instrument au service des intérêts des occidentaux. Quid du fondement juridique?
 
Fondement juridique

Le document de notification des charges considère Ouattara comme « le vainqueur » des élections présidentielles du 28 Novembre 2010. En effet, le procureur n’hésite pas à écrire dans le paragraphe 10 que « Ouattara et son gouvernement nouvellement élu étaient basés au golf hôtel d’Abidjan… » Ce faisant, le procureur fournit deux pistes de réflexion qui constituent le fondement juridique du travestissement de la qualité du Président Gbagbo. On a d’une part les « résultats de la Cei » et d’autre part l’arrêt du Conseil Constitutionnel du 04 Mai 2011.
 
Dans son paragraphe 7 l’acte d’accusation nous fournit « les résultats » de la Cei : « Le Président de la Commission Electorale Indépendante (Cei) a annoncé les résultats provisoires et déclaré que Ouattara avait remporté 54,1% des voix et Gbagbo 45,9% » C’est donc sur cette base que la Cpi considère Gbagbo perdant des élections. Toutefois, la position du procureur ne peut se défaire des liens des textes encadrant la proclamation des résultats. L’article 59 de l’ordonnance portant ajustement du code électoral pour les élections générales de sortie de crise impose à la Cei, les délais et les formes dans lesquelles celle-ci doit proclamer les résultats provisoires. Il lui est fait obligation de les proclamer dans les « 3 jours qui suivent le scrutin » et ce « en présence des représentants des candidats ». En se rendant tout seul, en l’absence notable des autres membres du bureau de la Cei, au quartier général de Ouattara, 4 jours après le scrutin pour proclamer des résultats, le Président de la Cei violait la loi d’où la nullité de ses « résultats ».

Lorsque, dans le même paragraphe, le procureur fait un clin d’œil au Conseil Constitutionnel, ce n’est pas pour dire que c’est l’institution qui proclame les résultats définitifs (articles 94 et 98 de la constitution, article 63 du code électoral ivoirien). Le procureur nous dit plutôt que le président du Conseil Constitutionnel est « un allié de Gbagbo » ! En tout état de cause, l’Onu, mandante de la Cpi, avait déjà choisi son candidat.
 
C’est pourquoi, le procureur valide sournoisement la certification opérée par Y. Choï. Or, dans sa mise en œuvre, la certification s’est détachée de sa mission consignée dans l’article 6 de la résolution 1765 (2007). Il s’agissait en effet de certifier que tous les stades du processus électoral fournissent toutes les garanties nécessaires pour la tenue des élections justes, libres et transparentes. Le représentant spécial de l’Onu n’avait pas en conséquence le droit de juger la décision souveraine du juge constitutionnel en remplaçant celle-ci par des résultats viciés.
 
Comme l’a si bien noté Franc De Paul Tétang (3) le certificateur avait une « mission préalable à la proclamation des résultats définitifs et non une fonction de juge de la validité des décisions de la juridiction constitutionnelle ». La base de « la victoire » de Ouattara étant fausse, les soutiens de Ouattara n’avaient plus qu’à forcer le juge constitutionnel à produire un second arrêt. Il s’agit de l’arrêt du 04 Mai 2011.

Cet arrêt, visiblement destiné à légaliser les actes illégaux pris par Ouattara, s’inscrit dans la logique de disqualification de Laurent Gbagbo. Ainsi, l’article 3 de l’arrêt précise « en raison des circonstances exceptionnelles, le Conseil Constitutionnel prend acte des décisions prises par le Président Alassane Ouattara et les déclare valides.» Du coup, les « circonstances exceptionnelles » servent à faire entrer Ouattara dans la légalité.
 
Le Conseil Constitutionnel a donc réussi à transformer un coup d’Etat en acte républicain. La formation du gouvernement, l’exercice du droit de légation, la saisine de la Cpi (paragraphe 17 de l’acte d’accusation), sont des actes illégaux posés par une autorité non élue. Toutefois, le coup de pouce juridique du juge constitutionnel ne peut être regardé comme inattaquable. Premièrement, il apparaît que l’arrêt en question n’est fondé que sur les décisions de la Cedeao et de l’Ua. Or avant même que soit mis sur pied le « groupe de haut niveau », ces organisations avaient reconnu la « victoire» de Ouattara. En effet, le 04 Décembre 2010 l’Ua avait appelé au « respect des résultats tels que proclamés par la commission électorale indépendante ». Cette décision fut confirmée lors de la 259ème réunion du CPSUA.
 
En des termes sans équivoques, elle a affirmé reconnaître «M. Alassane Dramane Ouattara comme Président élu à l’issue du scrutin présidentiel du 28 novembre 2010, sur la base des résultats certifiés par le Représentant spécial du Secrétaire général des Nations unies ». Le Président du Conseil Constitutionnel bien que sachant qu’il ne faisait que donner une teinture nationale aux décisions politiques de l’Ua, n’a pas hésité à s’engouffrer dans la brèche du complot international. Deuxièmement le juge constitutionnel s’est amusé à se créer de nouveaux sujets de droit international en faisant croire que la Côte d’Ivoire, parce qu’elle est membre de l’Ua avait, dans le cadre du règlement de la crise postélectorale, ratifié un traité la liant.
 
C’est dans ce sens qu’il a cru bon noter que « les normes et dispositions internationales acceptées par les organes nationaux compétents ont une autorité supérieure à celle des lois et aux décisions juridictionnelles internes sous réserve de leur application par l`autre partie ». Toutefois, il ne prend pas la peine de nommer les organes nationaux et de préciser les normes qui ont été appliquées par l’autre partie, elle-même non connues. Pris au piège de l’Onu, Le juge constitutionnel a fait du « bricolage juridique ».
 
C’est pourquoi, il a même oublié de rappeler qu’avant d’être contraignantes, les décisions devaient être négociées et arrêtées de commun accord par les parties au conflit (cf paragraphe 6.c du 259ème communiqué du CPSUA). Pour autant, l’arrêt du 04 Mai 2011 n’a pas établi dans le fond, la victoire de Ouattara. Bien au contraire, il a renforcé l’idée que les soutiens de Ouattara, financiers de la Cpi, avaient décidé de transformer la qualité du Président Gbagbo et le sortir définitivement du jeu politique.

On retiendra en définitive que le document de notification des charges a, à la suite de « la communauté internationale » transformé la qualité du Président Gbagbo sur des bases purement politiques que l’arrêt du Conseil Constitutionnel du 04 Mai 2011 n’a pas réussi à démentir.

• Acte d’accusation du 16 mai 2012, 13 Juillet 2012.

• Lettre adressée le 1er Décembre 2010 à Youssouf Bakayoko in Ma vérité sur le complot contre Laurent Gbagbo page 86- Alain Dogou

• "De quelques bizarreries constitutionnelles relatives à la primauté du droit international dans l'ordre juridique interne : la côte d'ivoire et « l'affaire de l'élection présidentielle »in Revue française de droit constitutionnel, 2012/3-n°91


Alain Boiukalo,
Juriste
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