Caroline Grimberghs
Pour Barack Obama, la couleur de sa peau est inévitablement un élément crucial de sa carrière politique. Il est le premier président noir des États-Unis. Protestant mais quelques-uns le pensent encore Musulman. Alors sénateur de l’Illinois, la réflexion d’un conseiller en communication le fait bondir et le convainc de tenter d’obtenir un siège au niveau national : "Vraiment pas de chance. Tu ne peux pas changer de nom bien sûr, les électeurs se méfient de ce genre de chose. Si tu étais au début de ta carrière, tu pourrais peut-être utiliser un surnom quelque chose comme ça. Mais maintenant...". Maintenant, c’est septembre 2001, quelques semaines après l’attaque terroriste qui frappa les États-Unis de plein fouet. Et son deuxième prénom, c’est Hussein. Et ça, pense ce conseiller, ça ne passera pas.
Barack Obama a fait mentir les rumeurs qui prédisaient que les Américains n’étaient pas prêts à élire un président de couleur. Mais, précisément, quelle est encore l’importance de la question raciale en 2012 ? "Aujourd’hui, quand dans les campagnes présidentielles, on fait référence à Willie Horton [Ndlr: criminel noir dont l'histoire a déjà largement été contée lors de l’élection présidentielle de 1988 pour décrédibiliser le candidat démocrate], aux ‘welfare queens’ [Ndlr: des personnes utilisant abusivement les aides étatiques – expression souvent utilisée pour désigner des mères noires] ou quand on définit Barack Obama comme un ‘food stamp president’ [Ndlr: le Président des coupons alimentaires], on est dans la continuité de l’utilisation de ces thèmes ‘raciaux’. Les Républicains utilisent, depuis la fin des années 60, cette stratégie dite 'sudiste’ : elle a fonctionné dans le passé mais avec les changements démographiques du pays, de plus en plus de personnes de couleur ont le droit de vote et il est moins évident aujourd’hui que de telles références puissent continuer à leur faire gagner des voix" explique Susan M.Glisson, directrice de l'Institut pour la réconciliation raciale, à l'université du Mississippi.
Dans son autobiographie parue en 2006, "L’audace d’espérer", Obama dit ceci : "Je suis prisonnier de ma propre histoire (…) L’appartenance à une race et à une classe continue de modeler nos vies ". Un avis que partage Susan M. Glisson : "L’élection de Barack Obama a eu un effet paradoxal aux Etats-Unis : dans un premier temps, cela a provoqué une augmentation des discussions autour des questions raciales tout en en limitant la richesse, beaucoup considérant cette élection comme un signe que le racisme était terminé alors que de nombreux facteurs nous montrent que ce n’est pas le cas. De plus, il est important de remarquer que la position de Barack Obama a été très difficile à trouver : il devait représenter tout le monde et, en même temps, certains avaient espéré qu’il prendrait des positions plus audacieuses sur les questions raciales. Mais s’il avait été plus présent sur ces questions, ses opposants l’auraient attaqué pour avoir ‘utilisé la carte de la race’. Il a donc dû jouer un véritable rôle d’équilibriste. Toutefois, et peut-être plus important encore que tout le reste, cette élection a montré aux jeunes afro-américains que, s’ils travaillaient dur, eux-aussi pouvaient espérer devenir un jour président".
Au-delà de la couleur de sa peau, Barack Obama doit également gérer les ‘soupçons’ qui pèsent encore sur ses croyances religieuses, lui qui reconnaît avoir grandit dans une maison où la Bible côtoyait le Coran et avoir passé ses secondaires dans une école majoritairement musulmane. 17% des sondés par une étude récente du Pew Research Center’s Forum pensent encore que le président est musulman. « Malheureusement, nous sommes, dès la naissance, programmés pour être suspicieux par rapport à ceux que notre société présente comme ‘autres’ » explique Susan M. Glisson. Et Mitt Romney l’a bien compris. Au lendemain de l’attaque terroriste en Libye ayant coûté la vie à l’ambassadeur américain en poste à Benghazi, le candidat républicain joue sur cette peur en accusant le président Obama de sympathie pour les extrémistes musulmans. « Ces évènements donnent l'occasion au candidat républicain de tenter de relancer le soupçon, courant dans les milieux conservateurs américains, que M. Obama a une attitude systématiquement favorable aux musulmans et s'excuse trop volontiers auprès de l'opinion mondiale de certains aspects de la politique étrangère suivie par les États-Unis » estiment les journalistes de l’AFP.
Quand Barack Obama ouvre son premier discours sur le sol africain, en juin 2009 au Caire, par un tonitruant « Salam alikoum » (Que la paix soit avec vous), il va à l’encontre de cette peur distillée dans la population américaine depuis les attentats du 11 septembre, une attitude encouragée par l'Institut pour la réconciliation raciale : « Il y a une façon de sortir de ce bourbier de la peur de l’autre : ce n’est pas en diabolisant ceux qui provoquent en nous cette crainte mais en essayent de comprendre d’où elle vient et ainsi de mettre en lumière ses origines irrationnelles. Mais ce processus doit avoir lieu dans des lieux sûrs, les efforts visant à construire des relations de confiance et de respect pour que cette vérité culturelle soit partagée. Cela ne peut pas se faire dans le bruit et la fureur d’une élection, qui vise essentiellement à diviser » explique Susan M. Glisson.